CDI, CDD, CNE, CPE....
En avant la régression !
L‘existant
Jusqu’à présent, en droit du travail français, le contrat de travail de droit commun, c’est le CDI, le contrat de travail à durée indéterminée. Comme son nom l’indique, il dure sans limitation, tant que l’employeur ne licencie pas ou tant que le salarié ne démissionne pas. Bien sûr, le licenciement est possible, mais depuis 1973, il ne peut être prononcé sans être basé sur un motif réel et sérieux. Ce motif peut être d’ordre économique : suppression de poste, fermeture d’établissement,...ou tenant à la personne : motif disciplinaire, insuffisance professionnelle, inaptitude au poste et impossibilité de reclassement,...
Par contre, il ne peut être fondé sur une discrimination, sur un état de grossesse ou sur un abus de droit. Pour savoir quel est le motif du licenciement et apprécier s’il est réel et sérieux, la lettre de licenciement doit le mentionner expressément, dès lors que le licenciement intervient après la fin de la période d’essai. Si le salarié estime que le licenciement n’est pas fondé, il peut saisir le juge des prud’hommes. La durée de la période d’essai est fixée par le contrat ou par la convention collective, car la loi est muette sur ce point. Les tribunaux estiment raisonnable une période d’un à deux mois pour les employés et techniciens, jusqu’à trois mois pour les cadres, voir six mois pour les cadres supérieurs.
Il existe, à côté, le CDD, contrat à durée déterminée, qui ne peut être conclu que dans des cas précis : surcroît d’activité, remplacement ou pour une activité saisonnière, et qui, comme son nom l’indique, a une durée de vie limitée dans le temps, soit par une date, soit par la survenance d’un évènement particulier : par exemple, le retour de la personne remplacée ou la fin de la saison. En tout état de cause, si la durée ne peut excéder 18 mois, renouvellement compris, il ne peut être rompu avant son terme ou avant une date minimale prévue d’avance quand il s’agit d’un contrat pour remplacement (sauf faute grave ou force majeure). Il existe aussi le contrat de mission d’intérim, qui obéit aux mêmes règles de rupture que le CDD.
Pour ces deux contrats, il n’est pas exigé de lettre ou de motif de licenciement, puisque le terme est prévu dès le départ, dans le contrat. Toutefois, certains contrats comportent une possibilité de renouvellement et le salarié doit être prévenu en cas de non renouvellement du contrat. Par contre, si, hors clause de renouvellement, la relation de travail se poursuit au terme de ces contrats, ils se transforment en contrats à durée indéterminée.
Les nouveaux reculs sociaux
Mais, depuis Août 2005, est apparu le contrat nouvelle embauche (CNE) et, très vite, le contrat première embauche(CPE).
Leur caractéristique commune et principale, c’est que ce sont, juridiquement, des CDI, mais qu’ils comportent une super-période d’essai de 24 mois, qui les précarise de manière inhabituelle.
Ce qui signifie que pendant cette période, dite « période de consolidation », (parce que « période d’essai » ça renvoyait à toutes les conventions collectives, qu’il aurait fallu renégocier) la plupart des règles habituelles du licenciement ne s’appliquent pas. Ainsi, l’employeur n’a pas à justifier d’un motif pour mettre fin au contrat, même sur la lettre de licenciement. Ce qui lui permet, bien sûr, de licencier au premier aléa économique ou à la première attitude du salarié qui lui déplaît : retard, absence pour maladie, refus d’heures supplémentaires non payées, demande de respect de la convention collective, etc... Ce qui est bien moins favorable qu’un CDD, où, on l’a vu, le contrat doit, en tout état de cause, se poursuivre jusqu’à son terme, sauf faute grave ou force majeure.
Des protections bien fragiles
Certes, ces pleins pouvoirs de l’employeur connaissent, théoriquement, quelques limites :
– Le licenciement ne peut se fonder sur un motif discriminatoire (état de santé, mœurs, race, sexe ou participation à une grève) ou sur une pratique de harcèlement,
– Le licenciement ne peut reposer sur un abus de droit (par exemple, l’intention de nuire).
– La protection des femmes enceintes et des victimes d’accident du travail ou de maladie professionnelle s’applique (le licenciement n’est possible que pour un motif économique étranger à l’état de la personne et rendant impossible le maintien du contrat).
– Un licenciement pour un motif disciplinaire devra respecter les règles de procédure spécifiques (entretien, lettre motivée), ainsi qu’un licenciement pour inaptitude.
– Il en est de même un licenciement touchant un candidat aux élections professionnelles ou un représentant du personnel, avec notamment la demande d’autorisation à l’inspecteur du travail.
Mais, dans les faits, ces limites seront très difficiles à invoquer : il faudra que l’employeur ait été particulièrement maladroit ou suffisamment imprudent pour faire état devant témoins d’un motif prohibé de licenciement. Quant au pouvoir d’appréciation de l’inspecteur du travail sur le motif du licenciement d’un salarié protégé, il va falloir être très très habile pour l’exercer.
La seule vraie limite est psychologique : l’employeur devra se faire à l’idée que, ne donnant pas de motif au licenciement, il s’expose à être appelé beaucoup plus souvent qu’avant devant les prud’hommes pour se justifier. Souhaitons que les salariés ne se laissent pas intimider et multiplient les procédures.
Des garanties bien dérisoires sinon virtuelles
Les autres caractéristiques de ces contrats sont ce qu’on pourrait appeler des « contreparties » à la précarité imposée.
D’abord, l’institution d’un préavis pour tout licenciement après le premier mois (toujours appelé période d’essai). Il est de deux semaines dans les six premiers mois du contrat, puis d’un mois. Pour mémoire, dans le CDI classique, la durée du préavis est fixée par les usages ou les conventions collectives : pour une ancienneté inférieure à 6 mois, elle est d’un mois au-delà. Le gain est vraiment minime.
Ensuite, le versement d’une indemnité en cas de licenciement, égale à 8% des sommes perçues depuis le début du contrat. Dans le CDI classique, l’indemnité légale de licenciement est d’un dixième de mois par année d’ancienneté (deux dixièmes en cas de licenciement économique), mais n’est due qu’au bout de 2 ans d’ancienneté ; en revanche, si l’on se réfère à la notion de contrepartie de la précarité, rappelons que l’indemnité de précarité du CDD est de 10 % des sommes reçues, donc supérieure. Le salarié a aussi droit à un accompagnement renforcé du Service Public de l’Emploi, financé par une contribution de 2%, versée par l’employeur : tiens, revoilà la différence avec l’indemnité de précarité des CDD et missions d’intérim ; donc, c’est aux salariés de payer pour la précarité du CNE et CPE.
Par ailleurs, les deux contrats comportent des modalités, différentes, d’indemnisation du chômage complémentaire aux allocations Assedic. Celles-ci ne sont possibles qu’après 6 mois de travail : aussi, est-il prévu, pour le CNE, une indemnisation pour tout salarié licencié après 4 mois de travail. Son montant est de 16,4 € par jour pendant un mois. Dans le cas du CPE, cette indemnisation est versée pendant 2 mois. Certes c’est mieux que rien, mais bien dérisoire, à côté de l’indemnisation Assedic, et alors que c’est le contrat lui-même qui facilite la rupture anticipée.
Enfin, conscient que son CPE apparaîtrait comme cumulant les inconvénients aux yeux des jeunes, de Villepin a fait mine de s’intéresser à leurs difficultés, en annonçant que les jeunes en CPE auraient un accès privilégié au 1% logement et aux possibilité offertes par le Locapass en matière de caution. Mais quel jeune osera s’engager sur un bail avec cette menace pendant 2 ans ? Et la garantie du Locapass ne dure que 18 mois...Il a aussi expliqué que les banques ont annoncé qu’elles ne feraient pas de différence entre CDI classique et CPE dans les ouvertures de crédit. Qui peut croire cela ? On voit bien que le premier ministre ne fréquente pas les mêmes banquiers que les jeunes en recherche d’emploi. Les banquiers feront bien ce qu’ils voudront. Il a aussi consenti à ce que soient décomptés dans le calcul des deux ans de consolidation les stages et CDD déjà effectués dans l’entreprise par le jeune. Ce qui était quand même la moindre des choses.
En définitive, ces garanties sont largement dérisoires, quand elles ne sont pas virtuelles.
Les vrais enjeux
En tout état de cause, on voit clairement que la nouveauté, ce n’est pas que le licenciement soit possible, puisque, avec le CDI classique, il est déjà possible, c’est que l’employeur n’a plus à justifier un licenciement pendant une période extraordinairement longue, 24 mois. Autrement dit, cette mesure ne s’adresse pas aux employeurs de bonne foi, qui pouvaient et pourront toujours licencier pour un motif légitime, mais aux employeurs malhonnêtes, qui ont envie de pouvoir licencier pour n’importe quel motif, dont les moins avouables, sans avoir à se justifier.
Il faut donc bien décrypter le sens caché de la propagande ministérielle : pour le CNE, le ministère du travail disait qu’il s’adressait aux employeurs qui « hésitent à recruter faute d’avoir une visibilité suffisante sur le potentiel de développement de leur marché » ou dont « l’entreprise a des difficultés à absorber un surcroît d’activité ». Purs sophismes : dans le premier cas, l’embauche en CDI répond au besoin, avec la faculté de licencier pour motif économique à tout moment pour baisse d’activité, et dans le deuxième cas, l’embauche en CDD pour surcroît d’activité va de soi, avec la possibilité de garder le salarié si le surcroît devient pérenne. Pour le CPE, la période de deux ans permettrait « aux jeunes de donner toute la mesure de leurs capacités ». Quelle arnaque ! Rien n’empêche de donner aux jeunes cette possibilité dans le cadre d’un CDI classique, mais avec un CPE, s’ils ne donnent pas « toute la mesure de leurs capacités », c’est à dire, en fait, s’ils ne se défoncent pas en acceptant les heures non payées, les tâches moins qualifiées qui n’ont qu’un lointain rapport avec leur poste, on peut les mettre dehors du jour au lendemain pendant deux ans.
Ces nouveaux contrats sont des pousse au crime : ils flattent les tendances les plus rétrogrades des employeurs et donnent raison à ceux qui réclament la fin du droit du travail (appelé pudiquement « l’allègement des procédures » ou la « simplification du code du travail »).
Pour les salariés, c’est leur imposer l’incertitude du lendemain pendant deux ans, voire plus, en cas de succession de CNE ou CPE. C’est mettre fin à l‘état de droit dans l’entreprise, puisque, sous la menace permanente du licenciement, les salariés ne pourront plus réclamer le respect de leurs droits. C’est, enfin, institutionnaliser le passage obligé par la précarité pour accéder à l’emploi.
Et, ne nous y trompons pas, si aujourd’hui, le CNE est réservé aux entreprises de moins de 20 salariés (enfin, en réalité, 20 + autant de jeunes que l’on veut, puisqu’ils ne comptent pas dans les effectifs), qui sont 90 % des entreprises, et si le CPE ne peut être utilisé que pour embaucher des jeunes de moins de 26 ans, dans n’importe quelle entreprise, il ne faut pas être grand clerc pour deviner que la tendance est à la généralisation de ce type de mesure, comme l’a tout de suite demandé le Medef. Laurence Parisot, la nouvelle philosophe en vogue, l’a bien dit : puisque la vie, la santé, l’amour sont précaires, pourquoi le travail ne le serait-il pas ?
D’autant plus que le gouvernement fait tout pour que les employeurs consomment du CPE : toute embauche, y compris en CPE, d’un jeune au chômage depuis au moins six mois vaudra
3 ans d’exonérations de cotisations patronales.
Pourquoi s’engager dans une telle régression ?
Le premier ministre justifiait le CPE par la souplesse donnée aux PME pour embaucher, et comme la mesure est passée sans encombres ou presque (si l’on excepte la journée d’action du 4 Octobre), il remet ça avec le CPE, qui serait justifié par la difficulté des jeunes à s’insérer dans le monde du travail. Tout d’abord, on peut être surpris de l’inversion des cibles : le contrat à 2 ans de précarité, c’est pour les entreprises ou pour les jeunes ?
Ensuite, il faut être quand même sacrément gonflé pour dire que comme 70 % des jeunes n’arrivent à trouver qu’un CDD, on va faire en sorte que le plus grand nombre ne trouve qu’un CDI à 2 ans de précarité.
En fait, ces arguments ne sont que des arguties. Le vrai but des ces contrats c’est de commencer à saper la place du CDI et d’imposer la précarisation de la relation de travail comme la règle. Ainsi, outre la satisfaction des tendances les plus libérales de la vie politique française, cela affaiblira le rapport de forces entre les nouvelles tranches d’âge arrivant sur un marché du travail rendu moins favorable aux employeurs par le départ en retraite des baby-boomers et ces employeurs, en recherche éperdue de salariés.
On le voit, les enjeux sont multiples et déterminants pour plusieurs décennies. Raison de plus pour se battre sans répit contre ces régressions !
Article rédigé par des camarades du syndicat FSU des finances à paraître dans le prochain bulletin du SNES
C. Girardin